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vendredi 26 septembre 2014

Voyage au pays des "sans dents"

Vendredi 26 Septembre 2014 à 12:32 (mis à jour le 26/09/2014 à 11:58)
 Par Pierre-Alexandre Bouclay                
 
 

François Hollande en campagne à Boulogne-sur-Mer, en 2011. Photo © SIPA
 

Enquête. Ouvriers précarisés, chômeurs longue durée, commerçants assommés par l’impôt, marins pêcheurs écrasés par les normes…
 
 La plupart essaient de s’en sortir, d’autres ont définitivement baissé les bras.
Mais tous ont été choqués par le mépris de François Hollande.
 Reportage à Boulogne-sur-Mer, dans le Pas-de-Calais.
« Si je suis un “sans-dents”, lui, c’est un bel enc… » La rime est pauvre, mais Jean-Philippe n’est pas d’humeur poète.
Dans le placard de sa cuisine, deux paquets de coquillettes se battent en duel avec une boîte de cassoulet et un tube de concentré de tomates.
« Quand je n’ai plus rien, confie-t-il, je mange du pain avec du sucre : le secret, c’est de fermer les yeux et de laisser couler le sucre dans la gorge, pour en profiter plus longtemps. »
 Dans sa chambre aux murs dévorés d’humidité, pas d’armoire : ses vêtements s’entassent sur un fauteuil cassé, à côté d’un matelas posé au sol.
 En hiver, c’est la seule pièce qu’il chauffe, avec un vieux poêle à mazout asthmatique.
 Presque incongrue au milieu de cette misère, surnage une jolie collection de vinyles, ultime vestige de sa vie “d’avant” : « J’ai fait partie du dernier plan social des APO [Aciéries Paris-Outreau, NDLR].
Je n’ai pas retrouvé de vrai travail.
 J’ai commencé à boire, à passer des heures au café, parce que j’avais honte.
 Ma famille n’y a pas survécu.
 Moi-même, parfois, je me demande si je ne ferais pas mieux de me pendre… »
Jean-Philippe, 55 ans, divorcé, père de deux enfants (dont il a perdu la garde), vit avec 499 euros de RSA par mois.

Après des études de chimie, il a travaillé durant quinze ans à la Comilog — fondée en 1897 et plus connue, à Boulogne-sur-Mer, sous son ancien nom d’APO.
Victime des deux chocs pétroliers puis de la concurrence chinoise, l’entreprise a connu une lente agonie à partir des années 1970.
En novembre 2003, la fermeture définitive des célèbres hauts-fourneaux boulonnais s’est soldée par une ultime vague de 351 licenciements (1 600 au total sur cinq ans).
Venir à Boulogne-sur-Mer, c’est s’embarquer dans un voyage au pays des “sans-dents”, pour reprendre l’expression attribuée à François Hollande.
S’il y venait, le chef de l’État retrouverait cette immense galerie de portraits cabossés qu’il aime apparemment railler en privé : ouvriers précarisés ou brutalement reconvertis, marins pêcheurs étouffés de normes européennes, travailleurs intérimaires aux horaires infernaux, retraités déclassés, chômeurs longue durée, dépressifs chroniques, alcooliques et clochards…
 Peu ont les moyens de s’offrir un sourire élyséen.
En sortant de la gare, les cris des mouettes et une agréable odeur d’iode laissent croire qu’il fait bon vivre à Boulogne.
 La haute ville est charmante, avec sa rue commerçante, sa cathédrale et ses remparts médiévaux. Même le centre paraîtrait pimpant, si les vitrines de magasins fermés ou à vendre ne devenaient dangereusement monotones.
 Une vingtaine de commerces ont fermé en deux ans.

 Philippe, restaurateur place Dalton, raconte la crise de son point de vue : « À la stupéfaction générale, en mai 2012, l’un des plus fameux restaurants de la ville, Les Pêcheurs d’Étaples, deux fourchettes au Michelin, a fait faillite. À l’été 2013, un restaurant japonais lui a succédé ; il vient de mettre la clé sous la porte. Ça devient inquiétant. »

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